Interview

Laure Bottinelli, lauréate du Prix Terre de Femmes de la Fondation d’Yves Rocher

Ecrit par Marie TERRY
le 16 mars 2017

Au mois de mars, Trucs De Nana met en avant des femmes qui s'engagent.Laure Bottinelli est de celles-ci qui, après un parcours dans des ONG, qui demande un engagement plus que certain, a décidé de lancer une entreprise solidaire en Haiti. ANACAONA est née de la volonté de recycler des matières, du savon usagé, de donner du travail à des femmes, de prôner l'hygiène auprès des enfants. A tout juste, 28 ans, cela méritait bien le Prix Terre de Femmes remis par la Fondation Yves Rocher et un portait dans Trucs De Nana.

Trucs De Nana: Déjà, d’où vous vient ce goût d’ailleurs ?

Laure: Je suis de double nationalité franco américaine

avec un père français d’origine italienne, d’où mon nom et une mère américaine de Chicago. Mes parents sont des grands voyageurs et on a eu la chance avec mon frère de voyager très tôt. Mon père était le photographe et ma mère organisait les voyages. On a développé ainsi une sensibilité et une curiosité sur l’autre.

Comment d’élève même studieuse, on se retrouve au bout du monde?

Oui, j’ étais une élève studieuse, scolarisée à Saint Etienne. J’ai fait une prépa littéraire et ai intégré Sciences Po Grenoble pour suivre le cursus d’un master international, le Master « OIG-ONG, Organisations Internationales » Puis, j’ai enchainé avec un master à l’ Université Californienne UC Berkeley.J’ai eu une rencontre qui a beaucoup compté pour moi avec un professeur à Grenoble, Monsieur Pierre Micheletti , Il avait lui-même de nombreux engagements humanitaires à son actif et il m’a confortée dans mon choix de partir et d’aller vers des projets humanitaires.

Quels ont été vos premiers pas dans cet univers des ONG?

Suite à mon échange universitaire, à Berkeley, j’ai décroché mon premier stage de fin d’études à Madagascar sur la thématique de l’eau avec l’ONG Handicap International.J’ai fait mon sujet de mémoire au sein de la Fondation Véolia pour m’occuper de l’accès à l’eau au Congo.
Puis, j’ai intégré comme bénévole ou comme salariée, d’autres organisations internationales, pour d’autres missions dans d’autres pays, par exemple, Save the Children aux Philippines, au Bengladesh.
En 2012, mon arrivée en Haïti a été à la suite de la proposition de l’ONG Inter Aide de partir en VSI (Volontariat de Solidarité Internationale) de venir 12 mois. J’ai travaillé sur un projet communautaire de développement de latrines et de système de lavage de mains dans le milieu éducatif rural dans le cadre de la lutte contre le choléra.Je vivais dans les montagnes avec les paysans et ce n’était pas tous les jours facile.
J’ai quitté Haïti pour le Sud-Soudan avec Solidarités International et ai géré la logistique d’un camp de réfugiés. Puis je suis revenue en 2014 en Haïti toujours avec Solidarités International et j’ai eu envie de suivre des cours en ligne avec le programme Mooc et cela a été un sérieux accelérateur pour monter mon projet.

Pouvez-vous nous expliquer ce programme MOOC ?

Mooc est une formation en ligne d’HEC Paris « Devenir Entrepreneur du Changement « qui propose d’aider les projets dont les auteurs sont des acteurs de changement, de progrès. »C’ est un Ticket for change. J’ai exposé mon idée de recycler les savons usagés et j’ai eu la chance de voir mon projet être dans les 10 finalistes du MOOC.

Mais comment avez-vous cette idée de savons usagés?

En fait, lors de mon voyage en Asie du Sud Est, Bali, Inde, Cambodge, que j’avais fait lors d’une pause entre mes missions,  j’avais découvert ce concept que j’ai trouvé très intéressant et j’ai voulu l’appliquer en Haiti.

Pourquoi avez-vous fait ce projet en Haiti?

C’est un pays que je connaissais déjà, j’avais quand même constitué un réseau lors de mes passages(3ans). Je parle la langue, le créole et c’est à 1h30 de Miami, mon côté américain. Mais il est vrai que c’est un projet qui peut s’exporter ailleurs et à long terme, j’aimerais bien l’étendre à d’autres pays.

En quelques mots expliquez nous ce recyclage des savons usagés, l’objet de votre entreprise,Anacoana

Nous sommes 3 associés, deux françaises, Mélanie GEISER, moi et une haïtienne: Johanna CHARLES. Nous employons 4 personnes, 3 femmes et un seul homme qui est le chauffeur.

L’équipe Anacaona

L’entreprise collecte les savons usagés des grands hôtels, les recycle en les nettoyant, en les raffinant, en ajoutant 6 saveurs et ainsi, on leur donne une 2e utilisation avec un nouveau packaging.

Les savons recyclés

C’est aussi un projet sociétal car les 3 femmes qui travaillent avec nous ont été « sélectionnées » parmi 80 dossiers.On ne peut pas embaucher tout le monde mais on essaie de retenir celles qui en ont le plus besoin, par exepmle, celles qui élèvent seules les enfants, qui n’ont donc pas de mari.

L’entreprise reste une entreprise et doit générer du profit. On revend les savons pour les touristes mais on les donne aussi dans les écoles pour l’apprentissage de l’hygiène aux enfants du pays.

Ce qui fait que ce projet est tourné autour de quatre thématiques majeures : l’environnement, la réduction des maladies liées à l’eau, la promotion des femmes et l’appui au tourisme responsable.

Est-ce difficile de monter une entreprise en Haiti en tant que femme?

Oui, c’est sûr, je suis une femme et en plus étrangère et jeune, moins de 30 ans! Mais les haïtiens sont très accueillants. Je pense que je suscite de la curiosité mais aussi de l’admiration:)

Comment vivez-vous justement en tant que jeune femme en Haïti?

La vie est différente en tant que salariée des ONG et en tant qu’entrepreneur. Quand j’étais sous contrat avec les ONG, je gagnais bien ma vie, j’étais logée, nourrie, assistée, c’était plus confortable et on évolue avec d’autres jeunes. En tant qu’entrepreneur,  je me retrouve seule, dans ma maison qui est aussi mon atelier, devant me débrouiller pour tout et je vis avec mes économies. C’est vrai que la vie en Haïti est très chère mais elle reste sympa, les paysages sont superbes, c’est un pays méconnu. J’ai une vie sociale quand même très riche,très sympathique avec les locaux, les expatriés qui souvent ne restent pas longtemps.

C’est sûr que je dois respecter des règes de sécurité quand on vit dans des pays à risque, ne pas sortir seule le soir…

Quels sont vos projets à l’aube de vos 30 ans?

On a, je crois, toutes des idées.J’aimerais avant mes 30 ans vivre aux EU. Comme beaucoup de nanas, je pense à fonder une famille un jour et je ne me vois pas avoir des enfants en Haiti. Mais pas de stress (il me reste encore un peu de temps! ). Pour l’instant, ma vie est en Haïti avec mon entreprise. A court et moyen terme, j’aimerais qu’elle prospère et à long terme, comme je le disais, développer cette idée de recyclage dans d’autres pays.

Comment vos parents vivent-ils votre aventure?

Mes parents m’ont toujours soutenue et c’est important, même si de temps en temps, ils ont peur pour moi même si les seules fois où j’ai été « agressée »… c’était en France à Grenoble.

Justement comment vivez-vous vos retours en France?

Je suis choquée par la pauvreté en France. Je vois de plus en plus d’exclus de la société. Je ne rentre pas souvent en France, les billets sont chers, mais il est vrai que je serais plus à même de continuer  ma vie aux EU mais il y a quand même Trump:(

Forte de votre expérience, que diriez-vous aux nanas qui voyagent seules?

Pour voyager seule, déjà 3 choses:

1- Savoir bien s’entourer aux moments clés du voyage-
2- Savoir faire la différence entre ouverture d’esprit et naïveté.
3- Ouvrir grand les yeux, les oreilles, le nez et le coeur

Un truc pour TDN, que doit contenir la valise d’une baroudeuse ?

1- Un bon livre
2- Son t-shirt préféré
3- Une trousse complète de médicaments
4- Un papier plastifié avec infos suivantes: nom/ prénom/ groupe sanguin/ contacts si urgence/ numèro ambassade
5- Une petite robe de soirée
6- Une lampe frontale
7- Un dry bag
8- Un journal de bord

Que diriez-vous aux nanas qui vont vous lire?

  • Cela peut surprendre mais il n’a jamais été aussi bon d’être une femme pour se lancer dans un projet car il y a de belle opportinutés pour les femmes. Il ne faut pas hésiter à surfer sur la vague. Le Prix Terre de Femme de la Fondation Yves Rocher en est une belle illustration.
  • Je dirais aussi qu’il faut ne pas avoir peur de se comporter comme les hommes. Cela peut être un peu contradictoire avec ce que j’ai dit avant. Mais il faut avoir en tête : homme, femme c’est pareil, c’est le principe d’égalité.
  • Et enfin, si on a un projet, un rêve, on fonce et on verra bien comment on manoeuvre. J’ai eu beaucoup de personnes qui doutaient de mon projet …et je suis là, aujourd’hui, à recevoir ce Premier Prix Yves Rocher qui m’apporte une dotation importante qui ira à l’entreprise.

Quelle est la question que je ne vous ai pas posée et que vous aimeriez que je vous pose?

On a bien papoté mais peut-être: Comment me soutenir?

En effet, Laure a reçu le Prix français mais elle concoure aussi pour le Prix International Yves Rocher et les votes ont lieu en ce moment jusqu’au 31 mars.

Laure et les 2 autres lauréates françaises

Une dernière question, si on veut être bénévole dans une association?

1- Commencer au niveau local pour comprendre comment ca se passe chez soi- exemple avec la Croix-Rouge ou Médecins du Monde
2- Pour l’international: regarder les organisations comme La Guilde Européenne du Raid ou Asmae (soeur Theresa)

Un grand merci à Laure d’avoir répondu à nos questions et encore bravo pour votre enthousiasme. Peut-être que vous allez susciter des passions car il en faut pour mener à bien ces projets d’envergure. Mais l’enjeu est de taille, donner du travail à des femmes en précarité, informer, protéger la terre en luttant contre le gaspillage et éduquer des enfants en matière d’hygiène..

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