Publicité choc sur l’Anorexie : un moyen de lutte pertinent face à cette pathologie ?

Le photographe italien Oliviero Toscani qui a déjà défrayé la chronique à de nombreuses reprises ( pubs Benetton), vient une nouvelle fois de faire entendre parler de lui suite à une campagne choc sur l’anorexie qui montre les photos d’une jeune femme nue (Isabelle Caro) dont l’extrême maigreur et un regard immense plein d’interrogations ne peuvent nous laisser indifférents. Il dit avoir voulu montrer que les dessous de la haute couture cachaient bien souvent des mannequins squelettiques et qu’il faut cesser de considérer ce milieu comme idyllique et de vouloir s’y identifier à tout prix.
Entre provocation, curiosité malsaine, malaise assurément, cette « bombe » publicitaire (interdite dans l’Hexagone mais également en Italie aujourd’hui) nous amène à nous poser la question de sa pertinence et de son réel impact. Lutter contre cette pathologie de la faim justifie-t-elle tous les moyens ?
Pour répondre à ces questions, nous avons recueilli l’avis du Dr Philippe Presles de l’Institut Moncey de Prévention Santé à Paris et de Manue, 34 ans, anorexique depuis l’âge de 17 ans et qui a déjà eu la gentillesse de nous apporter son témoignage lors d’une précédente interview.
Pour le Dr Presles, il est trop tôt pour en appréhender les vrais impacts : « sincèrement je n’ai pas d’opinion précise sur cette campagne de publicité. Je pense qu’il faudrait pouvoir disposer de tests d’impact pour savoir quel est le message résiduel laissé par ce type d’action auprès des jeunes filles, car c’est bien cela qui compte ».
Quant à Manue, son opinion est sans appel : « honnêtement, elle ne peut pas aider les anorexiques car, quand je la vois, je la trouve jolie, les photos ne me choquent pas ». Elle ajoute que « les anorexiques recherchent à lui ressembler, à être ainsi ; je pense que pour les anorexiques, cela risque plutôt de cultiver leur motivation d’être là-dedans. Je la regarde comme si je voyais une fille de tous les jours. Par contre, ma famille a été très choquée …”. On perçoit alors le danger de ces images avec le risque d’un effet renforçateur et justificatif pour les malades. Il faut bien avoir en tête que l’extrême maigreur est une forme d’esthétisme chez les anorexiques.
A savoir si cette campagne pourrait avoir un effet dissuasif, Manue nous répond que « cela ne peut pas non plus dissuader à commencer des régimes dans le but de maigrir car on ne sait pas quand on commence, on ne contrôle pas le fait de tomber dans l’anorexie ; tout le monde sait que l’on est malade, sauf nous » et c’est bien là où réside le vice de cette pathologie car « ça peut basculer d’un jour à l’autre, sans prévenir ».
Pour le Dr Presles, communiquer sur cette maladie reste primordial. Il insiste sur le fait que « l’éducation à la santé devrait faire partie du programme scolaire, pour apprendre aux enfants ce qui est bon pour eux (nutrition, activité physique, intégrité psychique). D’autres campagnes pourraient être réalisées sur un mode moins dur tout en étant décalé pour les jeunes ».
Manue critique aussi les récentes émissions sur l’anorexie qui ne seraient pas forcément appropriées : « il y a une très grande différence entre une personne anorexique depuis 2 ans et une autre qui se bat depuis 17 ans ; l’impact psychologique est très différent et les moyens de s’en sortir également ». Elle insiste donc sur le fait que l’anorexie est surtout un mal-être psychologique et que la guérison passe nécessairement par « une prise de conscience de son état ». Il faut arrêter de parler des régimes « mais plutôt comprendre les bonnes associations : bien-être, équilibre alimentaire, harmonie de vie corporelle, il ne faut pas être esclave de sa balance ». Le Dr Presles rejoint Manue sur ce point : « l’idéal serait de dire que la meilleure façon de devenir belle est de faire du bien à son corps (bonne nourriture, bonne activité physique, bonne implication psychique dans la vie) ; autrement dit, en s’épanouissant à la vie ».
Même si on peut se poser la question sur le côté, disons-le, volontairement racoleur de ces photos, retenons que « le fond du message de cette campagne est valable : on n’est pas belle quand on est maigre » (Dr Presles).